Les 175 supermarchés des deux enseignes ont été rachetés par le deuxième groupe français 1,05 milliard d’euros début juillet. Certains syndicats craignent que s’abatte le système de location-gérance, qui permet de maximiser les profits au détriment des droits sociaux.
Dans le grand jeu de cannibalisme auquel se livre la grande distribution, Carrefour ne donne pas sa part aux lions. Le deuxième groupe en parts de marché derrière Leclerc et devant les Mousquetaires réplique au récent dépeçage de Casino par Intermarché et Auchan, en officialisant, début juillet, le rachat de Cora et Match au groupe belge Louis Delhaize. La transaction s’élève à 1,05 milliard d’euros pour acquérir les 60 enseignes du premier, les 115 du second.
En rachetant ces chaînes de magasins bien implantées dans le Grand Est et le nord de l’Hexagone, le groupe présidé par Alexandre Bompard met la main sur leurs 110 millions d’euros de bénéfices bruts (Ebitda) annuels, qu’il compte faire gonfler à 130 millions, grâce à des synergies. En direction des 22 000 salariés intégrés, il soigne sa communication, en assurant, d’un côté, vouloir « maintenir et renforcer » Match, « qui jouit d’une forte notoriété dans le Nord-Est, en parallèle à Carrefour Market », de l’autre, en passant les hypermarchés Cora sous enseigne Carrefour, « de manière intégrée », a souligné Alexandre Bompard.
L’externalisation des coûts pour gonfler ses bénéfices
Ce n’est pas pour rien que le PDG souligne ce dernier élément. Sous sa direction, le premier employeur privé de France a fait de l’externalisation des coûts sa grande spécialité afin de gonfler ses bénéfices, avec l’utilisation à grande échelle de la location-gérance, qui consiste à confier à un tiers l’exploitation du magasin, en contrepartie du versement d’une redevance, tout en restant propriétaire du fonds de commerce.
Daniel Delalin, délégué syndical de Force ouvrière chez Cora, se veut optimiste. « Pour l’instant, la location-gérance n’est pas à l’ordre du jour. On a posé des questions à la direction à ce sujet et ils se veulent rassurants. » Rapportant les paroles de la direction, il explique que la stratégie consistera à appliquer une partie du modèle Carrefour dans les magasins Cora, « sans casser la dynamique et les succès de la marque dans certains secteurs ». Mais, pour Cyrille Lechevestrier, délégué syndical central de la CFTC Cora, « ce n’est qu’une question de temps. Pour le moment, on est rentables, donc ils n’ont pas d’intérêt à nous passer en location-gérance. Mais si nous n’atteignons pas leurs objectifs de résultats, ils disent qu’ils ne s’interdiront pas certains changements ».
Changement de statut et mise en cause globale des droits des salariés
Si le passage en location-gérance plane comme « une ombre au-dessus de nos têtes », selon le délégué CFTC, c’est parce que le changement de statut du magasin s’accompagne d’une mise en cause globale des droits des salariés. « Nous avons des accords d’entreprise qui prévoient le versement de la participation, de l’intéressement et d’une prime « vacances » tous les ans, explique Cyrille Lechevestrier. En location-gérance, le nouveau patron peut, au bout de quinze mois, dénoncer tous les accords préexistants en justice et les annuler. » Tirant ainsi les salaires et conditions de travail vers le bas. « Si des magasins doivent passer en location-gérance, ce ne sera pas avant 2026. Et ils nous disent que ce seront des cas rares, uniquement les magasins qui ne sont plus rentables et qui risqueraient d’être fermés », veut croire Daniel Delalin (FO).
Pourtant, pour Véronique Revillod, secrétaire générale de la CFDT services, « il est tout à fait possible que Carrefour passe un maximum de magasins en location-gérance le plus tôt possible ». Selon elle, « il s’agit de l’option la plus rentable pour le groupe. Elle est devenue quasi systémique dans sa stratégie. Donc, c’est très vraisemblable ». Au vu des 268 magasins déjà sous ce statut, la CFDT a intenté une action en justice contre le géant de la grande distribution pour « pratiques abusives » de location-gérance, leur réclamant 23 millions d’euros. « Le problème, c’est qu’ils veulent maximiser leurs revenus au détriment des salariés et de leurs conditions de travail », reprend Véronique Revillod. « Avec la multiplication de cette méthode, beaucoup se retrouvent à perdre plus de 2 000 euros par an sans rien pouvoir y faire. » Le syndicat craint que, malgré cette action en justice, les magasins Cora et Match subissent le même sort et ce système de « restructurations déguisées », qui permet de se défausser de ses obligations sociales, tout en engrangeant des profits records.
Pour l’instant, Carrefour s’emploie à rassurer, dans l’attente de la décision de la Haute Autorité de la concurrence. Cette dernière doit statuer d’ici la fin de l’année sur une éventuelle position de monopole dans certaines régions après l’absorption de Cora et Match.
Source : L’Humanité.