CORA, CARREFOUR, AUCHAN…
LES MOUVEMENTS SOCIAUX SE MULTIPLIENT FACE À LA PERTE DE POUVOIR D’ACHAT. CES TRAVAILLEURS PRÉCAIRES, EN DEUXIÈME LIGNE PENDANT LA CRISE SANITAIRE, ONT SUBI DE PLEIN FOUET L’INFLATION ET LA FLAMBÉE DE L’ÉNERGIE. ILS RÉCLAMENT DES HAUSSES DE SALAIRES AFIN DE VIVRE DIGNEMENT.
La CFTC restera attentive pour défendre les intérêts des salariés dont la quasi-totalité est en dessous de 2000 euros nets.
La grande distribution n’échappe pas à la colère qui explose partout sur la question des salaires et de justice sociale. Tous dénoncent des rémunérations trop faibles et des propositions insuffisantes faites par leurs directions. Ces mouvements répondent souvent au mépris des directions envers ces salariés qui ont continué à travailler la boule au ventre depuis le début de la crise sanitaire. On observe aussi que certains sont même obligés de cumuler plusieurs emplois pour s’en sortir. Avant ou après leur journée de travail, ils changent de casquette pour devenir agent de sécurité ou distributeurs de tracts et de journaux car leurs salaires les maintiennent dans la pauvreté.
CORA : LA GRÈVE SINON RIEN…
Pour Cyrille Lechevestrier, DSC Cora, « on est passé du statut d’indispensable à la 5e roue du carrosse, une fois la crise sanitaire passée ! » Cette enseigne appartient au groupe belge Louis Delhaize et comprend 61 hypermarchés en France, une dizaine en Belgique et au Luxembourg, et 12 en Roumanie. Cora représente environ 18 000 salariés en France. Ce groupe comprend aussi les supermarchés Match,
le cybermarché Houra, les jardineries Truffaut et les animaleries Animalis. Faute de reconnaissance, les salariés de Cora ont mal à leur salaire depuis de nombreuses années ! À leur écoute, la CFTC, le syndicat le plus représentatif avec 46,4 %, a demandé la réouverture des négociations annuelles obligatoires (NAO) 2021, suite à l’inflation et aux différentes hausses de l’énergie. « La direction a refusé d’ouvrir des négociations, et, le 15 décembre, ils nous ont informés qu’il n’y aurait pas d’augmentation des salaires ni prime inflation. En revanche, ils pouvaient nous accorder des avantages en termes de temps d’habillage… Sans hésiter, nous avons décidé de lancer un mouvement de grève
national sur plusieurs sites en partant d’une revendication portant sur une hausse de 5 % des salaires et la mise en place d’une prime
inflation de 1000 euros comme celle versée par l’État. » Sous la pression des salariés mobilisés en masse sur toute la France, un mouvement
bien relayé par les médias, la direction de Cora a finalement accepté d’ouvrir des négociations, dès le 6 janvier. « Grâce à cette mobilisation, nous avons obtenu 2,8 % d’augmentation pour les 2 premiers niveaux d’embauche qui étaient quasiment au niveau du SMIC, et jusqu’à 5 % pour les niveaux 3 et 4 afin de rétablir l’écart d’une grille cohérente. Enfin, dans le cadre du pouvoir d’achat, la direction nous a également accordé une remise sur achat de 10 % sur les achats effectués chez Cora en tant que membre du personnel, une revendication que l’on portait déjà depuis plusieurs années. »
On n’imagine pas encore l’enjeu, mais les risques psychosociaux dans l’avenir vont exploser.
Aujourd’hui, les représentants du personnel privilégient une revalorisation de salaire plutôt qu’une prime, qu’ils vont devoir exiger tous les ans, sans être sûr de l’obtenir, laquelle ne rentrera pas dans le calcul de la retraite. « J’avais fait un tableau pour les NAO où j’avais repéré que l’on avait eu à peu près 20 % d’augmentation sur les 20 dernières années alors que le SMIC avait pris plus de 40 % ! Et nos augmentations
étaient largement en deçà de l’inflation ! »
Autre motif de mécontentement : la réduction des effectifs. « Nous ne sommes plus dans les années fastes, et, face à la baisse du chiffre
d’affaires, des économies ont été réalisées par le groupe en tapant durement sur la masse salariale. Conséquence : les conditions de
travail se sont fortement dégradées, à tel point que plus personne n’a le temps de faire correctement son métier avec une demande de la poly-activité à outrance, c’est très mal vécu en magasin. On n’imagine pas encore l’enjeu, mais les risques psychosociaux dans l’avenir vont exploser. »
Chez Cora, le dialogue social est compliqué avec un manque de prise de conscience de la direction des efforts consentis par les salariés. « En fait, vous vous rendez compte que vous sacrifiez votre vie pour une entreprise qui ne vous reconnaît pas. Beaucoup de gens quittent Cora et les hypers pour aller travailler ailleurs où vous allez faire 8-17 heures avec une véritable qualité de vie. »
Les prochaines étapes ?
D’autres négociations sont en cours chez Cora, notamment sur la GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels), la reconnaissance de l’ancienneté, le télétravail. « Notre futur combat est de rester vigilant pour que Cora prenne en compte l’inflation sur le pouvoir d’achat des salariés. Nous ne pouvons pas subir indéfiniment des baisses de revenus à répétition alors que finir le mois devient de
plus en plus difficile. Les gens se restreignent sur tout, mais au bout d’un moment ils ne sortent plus, ne vont plus au restaurant, au cinéma, et au final ils rognent sur l’alimentation, la vie et la santé. Ce n’est plus supportable ! »
CARREFOUR NE CONNAÎT PAS LA CRISE !
À Carrefour, on ne croit plus au Père Noël ! « Habitués à faire nos demandes à la direction avec tous les avantages du statut social, nous avons décidé cette année de ne faire qu’une seule proposition axée sur le salaire », précise d’emblée Jean-Christophe Breviere, DSC Carrefour Market. À Carrefour Market, les NAO ont commencé en janvier 2022. Dans les supermarchés market, la revalorisation salariale lissée sur l’année est égale à 2,57 % d’augmentation, soit la plus forte obtenue depuis cinq ans. « Notre axe prioritaire concerne les niveaux B et surtout les 2 B, qui représentent un nombre plus important de salariés, proches du SMIC. Pour eux, le gain est de 265,37 euros sur l’année,
ce qui fait 22,11 par mois supplémentaire. Quand vous êtes 2 B, vous finissez votre carrière 2 B sans aucune évolution ! De ce fait, la direction a accepté de faire passer automatiquement en 2 C tous ceux qui ont au moins vingt ans d’ancienneté ; ils sautent ainsi de 1 699,31 euros bruts en 2 B à 1 732,24, soit 32,93 euros… Enfin, la remise sur achats dont bénéficient les salariés a été portée de 10 à 12 %, et s’applique notamment aux carburants. » Pour les hypers, qui représentent environ 60 % des effectifs France du groupe, l’augmentation minimale va atteindre 2,6 % (1,3 % au 1er février et 1,3 % au 1er juillet) par salarié. La CFTC n’ignore pas les excellents résultats de l’enseigne en 2020 et 2021 au plus fort de la crise. Le distributeur qui emploie plus de 100 000 personnes en France a dégagé un bénéfice net en progression
de 67 % à 1,07 milliard d’euros en 2021, grâce notamment à des économies de coûts et de solides ventes selon un communiqué. En 2020, la fermeture des espaces de restauration hors domicile (bars, restaurants, cantines, restauration d’entreprise…) avait mécaniquement profité aux magasins où les consommateurs se sont davantage approvisionnés pour préparer leurs repas. « Malgré ces bons chiffres, la part des bénéfices revenant aux salariés a été divisée par deux avant redistribution aux salariés, générant seulement 100 euros supplémentaires de prime de participation, pendant que les actionnaires se régalent. En effet, le conseil d’administration a accordé plus de 400 millions d’euros en dividendes, alors que la redistribution représente moins de 100 millions d’euros. » En décembre 2021, 80 000 salariés ont touché 100 euros d’indemnité inflation en complément de celle de l’État. « C’est ridicule, dans la mesure où notre enseigne avait le droit de nous accorder jusqu’à 2000 euros de prime défiscalisée, comme en 2020… mais rien pour cette année 2021 qui bat des records de bénéfice pour
le groupe ! Encore une fois, on préfère se battre pour du salaire ! » L’autre problématique concerne les magasins confiés en location-gérance, qui consiste à externaliser leur fonctionnement, contre paiement d’une redevance au groupe. En 2020, 64 magasins sont passés en location gérance et 47 en 2021. Du coup, les salariés concernés vont perdre du pouvoir d’achat et des avantages sociaux. « Carrefour avoue utiliser cette stratégie pour relancer des magasins en difficulté et préserver l’emploi… En fait, ils se débarrassent de milliers de salariés par ce tour de passe-passe ! » Lors des NAO, une clause de revoyure en septembre a également été intégrée, en fonction de l’évolution de l’inflation. Pour
Jean-Christophe Breviere, « la situation est mal vécue par les salariés qui subissent un manque constant d’effectifs, et encore plus depuis deux ans et la crise sanitaire. C’est ainsi que les conditions de travail sont devenues un vrai sujet avec des maladies professionnelles, des arrêts de travail, des dépressions et du harcèlement… On comprend le manque d’attractivité de nos métiers chez les jeunes qui viennent 15 jours et puis s’en vont. Sans compter qu’il faut avoir cinq ans d’ancienneté pour bénéficier de la totalité des avantages du statut social. »
MOUVEMENT DE COLÈRE À AUCHAN
Après avoir refusé de signer les accords NAO de 2020 et 2021 (décision unilatérale d’augmentation collective de +0,8 %), la CFTC qui est le premier syndicat à Auchan a finalement décidé, après consultation de ses nombreuses sections, de valider l’accord soumis par la direction. Cette signature entérine une hausse générale des salaires des employés de 2,2 %, pouvant aller jusqu’à 4 % selon les catégories, un doublement de l’indemnité inflation de 100 euros versée par l’État, et une remise en magasin portée à 15 % pour les salariés. « Grâce à cet
accord négocié en avance fin 2021, nous visons à préserver le pouvoir d’achat global des salariés, dans le cadre des NAO 2022, et donc applicables dès le 1er janvier », explique Bruno Delaye, DS Retail Auchan. Depuis un an et demi, Auchan ne va pas fort : l’activité s’est encore érodée en 2021 de 2,6 %. Auchan Retail France a d’ailleurs été le seul groupe de distribution à reculer (-0,2 point) à 9,3 % de parts de marché.
« Nous n’avons pas connu une embellie extraordinaire avec des périodes de fermetures des centres commerciaux, de couvre-feu, de passe sanitaire pour faire ses courses… Auchan a été bousculé, mal préparé à la vente digitale qui représente seulement 10 % de notre commerce total. Durant cette période, nous avons bien tenté du click and collect, du drive supplémentaire, de la livraison à domicile… mais l’entreprise marque le pas par rapport à la concurrence. » Pourtant, l’annonce du versement de 750 millions de dividendes en plein été a été la provocation de trop. Comment ne pas comprendre l’exaspération des salariés à qui la direction a demandé des efforts considérables pendant
la crise du Covid-19 et qui n’obtiennent pas une hausse significative de leurs salaires. Obtenir 2,2 % n’est pas suffisant pour couvrir
seulement celle de l’inflation qui se poursuit, et, dès le mois de décembre, les sections CFTC ont voulu l’exprimer auprès de la direction, et points de vente par points de vente. « Nous avons mené une action de visibilité majeure, en privilégiant la discussion et la négociation, pour leur faire entendre que les résultats de ces NAO n’étaient pas suffisants sur le seul plan des salaires. Avec cet accord, nous avons ainsi obtenu une clause dite de revoyure pour nous rencontrer à nouveau avant fin mars et tenir compte de la situation économique 2021 et des perspectives d’évolution de l’inflation. » Au 1er décembre, Auchan a décidé de changer de patron et de direction générale.
À quelle feuille de route faut-il s’attendre ?
Quelles seront les prochaines orientations stratégiques dévoilées début avril ?
Aujourd’hui, Auchan compte 57 000 salariés, 119 hypermarchés, 237 supermarchés, et quelques magasins de proximité… « La CFTC restera attentive pour défendre les intérêts des salariés d’Auchan Retail France dont la quasi-totalité des employés est en dessous de 2000 euros nets (référence de la prime inflation). Même si nous bénéficions de primes de progrès trimestriels (intéressement) et de la participation au bénéfice chaque année, force est de constater que les salaires de base ne sont plus au rendez-vous aujourd’hui. Ce qui explique aussi un turn-over de plus en plus accentué. Les salaires minimas comme l’image de la marque employeur ont besoin d’être redorés pour retrouver cette attractivité qui passera par de la reconnaissance professionnelle et de l’intérêt dans des métiers qui se transforment. » Alors que l’entreprise en France est dans le rouge, le conseil d’administration du groupe Auchan Retail a pourtant décidé le versement de dividendes
aux actionnaires dès le mois d’août 2021. La CFTC considère qu’il est très malvenu pour le groupe de faire cette opération de versement de dividendes exceptionnels à un moment où l’entreprise Auchan en France doit faire un effort important pour changer de cap et se redresser, et donc d’investir massivement. « Alors que la nouvelle direction générale souhaite avoir des salariés motivés et impliqués, capables de répondre favorablement à la relance qui sera proposée dans les orientations stratégiques, il ne tient qu’à elle de nous intéresser par un signe fort de sa part en donnant un coup de pouce complémentaire aux NAO. La notion du partage ne doit pas seulement être une vue de l’esprit. C’est ainsi que nos patrons auront des salariés au rendez-vous pour servir une relance de l’entreprise, mais, surtout, ne les décevez pas ! À la CFTC, nous gardons l’espoir d’être entendu ! »
Source : Magazine Impulsion n°75.