Cas unique en Europe, le secteur en France est partagé entre neuf acteurs dont certains sont fragiles, comme Auchan ou Casino. L’élection présidentielle passée, des projets de rachat pourrait ressortir des cartons.
Décryptage.
C’est un « big bang » qui pourrait intervenir à tout moment dans le petit monde de la grande distribution. Mais quand exactement ? Un seul ose faire un pronostic, c’est l’homme d’affaires Moez-Alexandre Zouari (propriétaire de Picard, Maxi bazar, Stokomani, etc.) : « Je suis persuadé que cela va bouger dans les douze prochains mois », annonçait-il, le mois dernier dans Les Échos. « Cela », c’est la « consolidation », comme disent les experts, de la grande distribution. Elle viserait à rebattre les cartes entre les différents acteurs du secteur (de Leclerc à Cora en passant par Carrefour, on en compte neuf aujourd’hui), afin de constituer des alliances stratégiques.
Depuis quatre ans déjà, plusieurs projets ont émergé, avant d’être tous remisés dans des cartons. Septembre 2018 : le rapprochement entrepris par Casino et Carrefour, qui aurait abouti à la création d’un mastodonte mondial, échoue, tandis que les deux groupes se renvoient la responsabilité de cet échec. Janvier 2021 : totalement inconnu en France, le canadien Couche-Tard, champion des boutiques adossées aux stations-service dans son pays, envisage ouvertement de racheter Carrefour, le premier employeur privé français. Un coup de tonnerre. Mais le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, met très vite le holà à ce projet de mariage, au nom de la « souveraineté alimentaire », en pleine crise du Covid.
Février 2022, enfin : le projet Merlot — son nom de code —, qui vise au rachat de Pinot (Carrefour) par Sauvignon (Auchan), capote. Il aura vécu quelques mois. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette fusion avortée, dont la proximité de l’élection présidentielle : le sujet est hautement inflammable, à cause des risques de casse sociale.
Carrefour, Casino et Auchan au centre du jeu
En dépit de ces multiples revers, l’idée phare d’une consolidation demeure : regrouper les forces. Aujourd’hui, alors que la présidentielle est passée, trois constats dominent. D’abord, « en France, il y a bien plus d’acteurs qu’à l’étranger, ce qui a généré une vive concurrence entre eux et, par ricochet, une érosion des marges comme des cours de Bourse », décrypte Nicolas Champ, analyste financier chez Barclays. Ensuite, « cette restructuration semble d’autant plus inéluctable que, entre la data, la chaîne logistique et la transition écologique, les investissements à faire sont colossaux », abonde Philippe Goetzmann, spécialiste de la consommation. Enfin, certains acteurs, fragiles, pourraient être la cible d’opérations chocs de rachat. C’est le cas par exemple de Cora qui, avec ses 2 % de parts de marché, est bien isolé.
Piloté par l’Association familiale Mulliez (AFM), le groupe Auchan, de son côté, a vu sa part de marché grignotée au fil des années. « Elle est encore passée de 10,5 % début 2018 à 8,9 % en août 2022 », rappelle Gaëlle Le Floch, de Kantar Worldpanel. Sans compter que, depuis le début de la guerre en Ukraine, le distributeur nordiste, très présent en Russie, est confronté à une incertitude majeure : ses magasins implantés au pays de Vladimir Poutine seront-ils, ou non, nationalisés ?
Mais c’est le groupe Casino, surtout, qui semble actuellement être le maillon faible du secteur. Très fortement endettée, sa maison-mère, Rallye, fait l’objet d’un plan de sauvegarde depuis trois ans, avec restructuration de sa dette jusqu’en 2025. A priori, sur le papier, rien ne l’obligerait à bouger avant cette date butoir. Si ce n’est que sa dette continue à croître, ce qui inquiète les marchés financiers. « Depuis début 2022, son cours de Bourse a chuté de plus de 60 % », brosse Nicolas Champ. Dernier épisode en date, l’agence de notation Standard & Poor’s vient de dégrader d’un cran la notation de la dette du groupe de Naouri.
Dans cet aggiornamento qui s’annonce, une chose est certaine : « Les groupements indépendants (traduisez les centres E. Leclerc, Intermarché et Système U) ne sont pas concernés, puisque leur capital n’est pas centralisé », décrypte Cédric Ducrocq, le patron du cabinet de conseil en stratégie Diamart Consulting. Dans les gros acteurs, ne subsistent donc que Carrefour, avec Casino et Auchan au centre du jeu dans la plupart des configurations. « Non seulement Carrefour a été de tous les projets inaboutis de ces dernières années, mais n’oublions pas que son PDG, Alexandre Bompard, a été l’artisan du rapprochement réussi de la Fnac et de Darty », souligne un expert.
Toujours la menace étrangère
Alors, qu’imaginer ? Retenter un rapprochement Auchan-Carrefour ? Possible, mais les aléas russes auraient rendu la mariée moins belle, de l’avis de plusieurs spécialistes. Une union Carrefour-Casino, comme envisagée il y a quatre ans ? Deux bémols. Le groupe Carrefour, dont les hypermarchés (peu rentables) sont déjà nombreux, s’alourdirait en acquérant d’autres paquebots de Casino ? Sans compter que le groupe dirigé par Alexandre Bompard, très bien implanté dans la capitale, pourrait avoir des difficultés avec l’Autorité de la concurrence puisque Casino, lui, y possède beaucoup de magasins Monoprix et Franprix.
Plutôt que des rapprochements globaux, les analystes n’excluent donc pas la vente de pans d’activité, la reprise de certains actifs. Et puis, en dépit de la tentative avortée du canadien Couche-Tard, des acteurs étrangers guettent toujours l’opportunité de pénétrer le marché français. Dans tous les cas, un facteur clé entrera en ligne de compte : la nécessité de limiter l’impact sur l’emploi, car rapprocher deux entités se traduira par des doublons, que ce soit au siège, aux achats ou encore dans la logistique.
En attendant, faute de marier les têtes, ce sont leurs centrales d’achats que les groupes de la grande distribution ont choisi de rapprocher ces derniers temps. Horizon regroupe ainsi Auchan, Casino et Metro.
Source : le parisien 22/10/2022