Pourquoi cette pétition est importante
Un rapport parlementaire préconise 14 mesures de simplification administrative pour alléger les obligations, normes et/ou difficultés rencontrées par les chefs d’entreprises TPE/PME. Il fait suite à une enquête réalisée auprès de chefs d’entreprises de TPE/PME et fournit des conclusions qui se rapprochent très fortement d’un rapport établi par la CPME deux semaines avant et qui listait également diverses revendications de même nature.
Si certaines mesures de ce rapport peuvent apparaitre légitimes au regard des démarches administratives chronophages et complexes pour des TPE/PME, il est particulièrement regrettable que ce rapport y mêle également d’autres mesures qui sont présentées comme un moyen de lever les freins à la croissance des entreprises, sans aucune étude préalable à l’appui de cet état de fait.
En effet, le rapport propose de rehausser les seuils de mise en place des CSE, notamment les CSE disposant d’attributions économiques « renforcées » (sic) en faisant passer le seuil des effectifs de 50 à 250 salariés. L’application de ce nouveau seuil poserait d’une part de très nombreuses questions, mais, d’autre part, constituerait une nouvelle remise en cause formelle du dialogue social dans les entreprises et à fortiori dans celles de taille modeste où il est le plus fragile et le plus difficile à faire vivre.
La hausse de ce seuil conduirait à supprimer l’octroi de la subvention de fonctionnement (attributions économiques et professionnelles) pour de très nombreux CSE. Et sans subvention de fonctionnement, déjà souvent considérée comme insuffisante au regard des besoins des CSE de taille modeste, les élus ne pourront plus : se former pour les formations économiques prises en charge par les CSE, avoir recours aux avocats et conseils juridiques (pour se défendre, conster devant les tribunaux), avoir recours à l’expert-comptable (pourtant obligatoire pour les CSE dont les ressources dépassent 153 000 €), se déplacer pour les réunions de travail des commissions, communiquer auprès des salariés, avoir recours à des expertises libres…
Par ailleurs, les CSE de moins de 250 salariés se trouveraient privés des consultations récurrentes (essentielles pour saisir les enjeux économiques, sociaux, stratégiques et environnementaux de l’entreprise) et des consultations ponctuelles, et notamment celles portant sur les impacts sur la santé et les conditions de travail (projet important). Finis également le recours à l’expert dans le cadre des situations de risque grave des salariés.
Déjà que les modalités de consultation étaient décriées en raison de l’absence de délivrance d’un avis conforme, mais, avec ce rapport, il est simplement proposé d’arrêter de délivrer les informations adéquates sur des projets importants, de transmettre des informations essentielles à la compréhension des aspects économiques, sociaux, stratégiques et environnementaux ou encore de restreindre la capacité d’agir des CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail. Sur ce dernier sujet, de très nombreuses études ont mis en lumière les effets délétères de la fusion des instances sur le fonctionnement des représentants du personnel en matière de santé, sécurité et de conditions de travail. Avec ce rapport, ce phénomène en sera démultiplié en restreignant fortement les possibilités du CSE d’agir sur la prévention des risques et la proposition de mesures d’améliorations des conditions de travail. Inutile de s’étonner de la hausse des arrêts de travail si l’on passe son temps à restreindre les moyens et les possibilités d’actions pour en limiter la source dans les entreprises.
Ce rehaussement de seuil pour les entreprises de moins de 250 salariés sera donc très lourd de conséquences sur le fonctionnement de l’instance et sur les salariés. D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder le fonctionnement des CSE des entreprises de moins de 50 salariés dans lesquels le dialogue social est particulièrement difficile faute de moyens pour les représentants du personnel et d’obligations de consultation.
Que dire par ailleurs de la fin préconisée de la BDESE (base de données économiques, sociales et environnementales) ! Si cette BDESE méritait d’être revue pour améliorer son exploitation par les élus du personnel, sa suppression au sein des TPE/PME constitue simplement une erreur manifeste d’interprétation sur son objet et intérêt : l’information nourrit la réflexion qui alimente l’action.
Si l’on souhaite démontrer dans le futur l’absence de pertinence de cette instance, il suffit de lui couper toute velléité d’intervention, de réflexion et d’action dès aujourd’hui. En effet, il est fort probable que le dialogue social sera encore moins possible dans les CSE dont les élus seront réduits à une chambre de recueil d’informations (partielles et sans débat contradictoire) et d’enregistrement des décisions de l’employeur. Le CSE n’est pas une instance de communication de la direction, mais un lieu de débat, d’échanges et de propositions sur le fonctionnement de l’entreprise et son avenir dont les salariés sont directement concernés. Il est aussi un lieu d’expression des dysfonctionnements et des tensions sociales que les employeurs seraient bien inspiré d’écouter plus fréquemment et plus attentivement car de nombreux sujets amenés par les élus visent, in fine, à améliorer l’entreprise et garantir son développement. Mais la pertinence de ces thèmes et questions soulevés par les élus ne tombe pas du ciel. Elle reste le fruit de leur capacité d’analyses et de propositions permises par son budget de fonctionnement, les consultations ou encore l’accès à l’information.
Comment imaginer des évolutions et améliorations pour les seniors, de réduction des inégalités professionnelles, de lutte contre le harcèlement sexiste, de partage de la valeur ou encore une plus grande prise en compte des situations de handicap si les représentants du personnel ne sont plus en capacité d’émettre des propositions faute de disposer des informations et des analyses adéquates ?
De même, d’autres questionnements majeurs pourraient également résulter de cette hausse des seuils d’effectifs sur le rôle et champ d’intervention des syndicats. À titre d’exemple, la désignation des délégués syndicaux sera-t-elle également affectée par ce nouveau seuil de 250 salariés ? Toute la législation sur les modalités de signature des accords sera-t-elle remise en question pour les TPE/PME ?
Le rapport préconise la mise en place d’un suivi des mesures sur le moyen / long terme. Cette préconisation ressemble précisément à celle qui avait été prévue pour les Ordonnances Macron : les rapports établis par France Stratégie sur les Ordonnances ont montré que la réforme des CSE n’avait eu aucun effet probant sur le dialogue social (voire au contraire des effets négatifs), avaient proposé des aménagements qui n’ont été suivis d’aucune mesure et surtout, ont été arrêtés après 4 ans d’existence alors même que le gouvernement s’était défendu de la faiblesse des effets à court terme par des objectifs de moyen/long terme…qui ne seront plus mesurés ! Allons-nous réitérer cette même incohérence ?
Enfin, la question de la méthode doit être remise en cause. Une telle décision pourrait-elle résulter uniquement d’un rapport synthétisant les réponses des chefs d’entreprise de TPE/PME à un questionnaire ? D’autres parties prenantes seront-elles également écoutées et accueillies dans leurs revendications au regard de ce sujet du seuil de l’instance ? Les élus du personnel et les syndicats de salariés seront-ils consultés ? Au regard du calendrier envisagé (projet de loi au printemps), tout indique que le futur projet de loi ne comprendra qu’une seule version des débats et sans aucune analyse d’impact. Cette méthode est-elle en phase avec le projet de réconcilier les citoyens-salariés avec les élus du Parlement et d’initier le « réarmement démocratique » ?
Peut-on raisonnablement estimer que le CSE est une instance qui bride la croissance des entreprises ? Le dialogue social dans les TPE/PME, pourtant souvent présenté comme insuffisant est-il être caractérisé comme un frein au développement des entreprises ? Bref, le CSE peut-il se résumer à une norme administrative qu’il suffirait de supprimer pour faciliter la vie des chefs d’entreprise et qui n’aurait aucune incidence sur la vie au travail de millions de salariés ? À l’heure de tensions sociales majeures actuelles et d’enjeux salariaux et de conditions de travail de plus en plus criants, vouloir réduire au silence les représentants des salariés des TPE/PME serait une nouvelle grave erreur, après celle de septembre 2017 avec les Ordonnances Macron.
Ne laissons pas passer cette mesure dans le projet de loi.
Pour signer, cliquez ici