Augmentations de salaires chez Cora :

« Les 2,8 %, on ne les aurait jamais eus si on ne s’était pas mobilisés »

Une grève des salariés du groupe d’hypermarchés, fin 2021, a précipité l’ouverture de négociations annuelles obligatoires au niveau national, alors que les hausses étaient jusqu’ici décidées dans chaque magasin.

 

©PHOTOPQR/DNA/Cédric JOUBERT ; Mundolsheim ; 30/12/2021 ; Des représentants syndicaux de différents magasins Cora du Grand Est ont manifesté ce matin devant le magasin de Mundolsheim en vue de faire pression sur la direction au moment des négociations annuelles. (MaxPPP TagID: maxbestof208404.jpg) [Photo via MaxPPP]
Plusieurs centaines de salariés de Cora s’étaient mis en grève, le 30 décembre 2021, à l’appel des syndicats CFTC et CGT. Une première dans ce groupe d’hypermarchés détenu par la famille Bouriez, filiale française du groupe belge Louis Delhaize, qui compte 61 magasins dans l’Hexagone. « On a fait très gentil, juste du tractage. On ne veut pas casser notre travail, juste que les gens vivent dignement de leur travail », expliquait alors Brigitte (c’est le pseudonyme qu’elle s’est choisi), employée de la chaîne depuis trente-deux ans et toujours au smic, témoignant du « ras-le-bol » ambiant.

Cette mobilisation a précipité l’ouverture de négociations annuelles obligatoires (NAO) au niveau du groupe. Une série de réunions qui se sont conclues, jeudi 10 février, par la signature d’un accord entre la direction et l’ensemble des organisations syndicales, qui prévoit l’augmentation de tous les salaires d’au moins 2,8 % (soit le niveau de l’inflation à fin 2021) et établit une nouvelle grille de rémunération propre au groupe. Une première là aussi, car la question des rémunérations n’avait jusqu’ici jamais été abordée au niveau national chez Cora, les hausses étant jusqu’ici décidées magasin par magasin.

Très remontés début janvier, les représentants syndicaux sont sortis satisfaits des discussions. « Les 2,8 %, moi, je ne les ai jamais eus dans mon magasin. Ces manifs ont eu un impact », estime Cyrille Lechevestrier, représentant CFTC. « On est contents, même si c’est loin des 5 % qu’on demandait. Mais si on ne s’était pas mobilisé, c’est sûr qu’on aurait eu 0,5 % ou 1 %, comme d’habitude », renchérit Julien Aquilina, délégué central CGT.

Dans le détail, la négociation repasse tous les niveaux de la grille des salaires au-dessus du smic (10,57 euros brut de l’heure). Comme seul ce dernier augmente automatiquement avec l’inflation (il a pris 3,1 % sur un an), il avait rattrapé et dépassé sept des huit premiers échelons de rémunération des niveaux « employés ». Ces derniers étaient donc payés au salaire minimum dans leur grande majorité – jusqu’aux prochaines négociations de branche, ce sera toujours le cas pour les entreprises qui appliquent strictement la grille de la convention collective.

Une grille de salaire pour les quatre niveaux employés (huit échelons) a été établie, portant les deux premiers niveaux à 10,77 euros de l’heure, les niveaux trois et quatre entre 10,80 euros et 11,62 euros. Cette revalorisation de grille se traduira pour certains par des augmentations de 5,7 %. Pour les cadres et agents de maîtrise, une enveloppe globale de 2,5 % sera distribuée en augmentations individuelles.

L’accord contient d’autres avancées, comme la limitation des « coupures », ces journées à rallonge où les employés ont des heures le matin et des heures le soir avec quelques heures inoccupées entre les deux, du temps perdu souvent, parce que l’aller-retour chez soi n’est pas envisageable ou trop coûteux en essence. Ce ne sera plus possible qu’un seul jour par semaine pour les salariés qui font moins de trente heures.

Autre mesure, révélatrice des difficultés en matière de pouvoir d’achat, tous les employés auront le droit à 10 % de réduction sur leurs courses faites chez Cora, via une carte de fidélité. « Ce sont des avantages que nous n’avions pas, donc je trouve que c’est pas mal », estime une salariée qui avait fait grève en décembre. « Pour la carte et la coupure c’est super, pour le reste… ils se moquent des gens qui ont de l’ancienneté », déplore Brigitte, déçue.

« Vous restez smicard toute votre vie ! »

La signature des accords va permettre aux salariés classés, comme elle, au niveau B2, soit la majorité des employés, d’être payés 10,77 euros de l’heure. Vingt centimes au-dessus du smic et autant que le tout premier niveau. « Donc moi, aujourd’hui, je dois former des étudiantes qu’on va payer autant que moi. C’est vexant ! C’est comme me dire que je suis une incapable ! Alors qu’on fait des tâches difficiles : le rayon poissonnerie, charcuterie, ça vous expose au froid, aux pathologies, et tout ça pour quoi ? Vous restez smicard toute votre vie ! »

Craignant qu’on réduise cet accord, révélateur pour eux de la bonne qualité du dialogue social dans l’entreprise, à cette augmentation de 20 centimes, les représentants du groupe insistent pour que les mesures soient lues dans leur globalité et placées dans le contexte des difficultés rencontrées par le modèle des hypers. Contrairement à d’autres chaînes, Cora n’a pas réalisé de bénéfices record pendant la crise sanitaire, et annonçait en juin 2021 un chiffre d’affaires en recul de 5,7 %.

« Ces mesures ne vont pas révolutionner la vie des salariés, mais c’est un geste très fort, insiste Olivier Delescluse, directeur du magasin d’Ermont (Val-d’Oise), qui a participé aux NAO groupe, soulignant notamment les gains de pouvoir d’achat pour les salariés, avec 10 % de remise sur les achats. Sur quatre chariots de 100 euros dans le mois, ça fait déjà 40 euros d’économie ! »

Les deux représentants du groupe reconnaissent que ces mesures ont aussi bien vocation à redonner du pouvoir d’achat à leurs salariés qu’à recréer de l’attractivité alors que le groupe connaît des difficultés de recrutement. Brigitte fait la moue : « Quand y a pas de reconnaissance du travail, et ça c’est sur les salaires que ça se voit, faut pas s’étonner ensuite que les grandes surfaces peinent à recruter. »

 

Source : Aline Leclerc-Reporter Journal Le Monde / www.lemonde.fr

Twitter : @aline_leclerc

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